Sacrifices - 11

Je me suis réveillée en sursaut ce matin-là. C’était devenu rare que je rêve de cette horrible fête où j’avais bien failli perdre la vie, il y a maintenant un peu plus d’un an et demi.

Les premiers mois ont été très difficiles cependant. Mes sentiments envers Samaël étaient un enchevêtrement indistinct de haine, d’amour, de terreur et de compassion.

Il m’avait délivré des monstres qui voulaient me sacrifier à leur seigneur, mais je n’aurais jamais craint pour ma vie sans lui. Il m’avait tabassé quasiment à mort, mais il ne l’aurait pas fait s’il n’y avait pas été obligé par les siens et par son héritage. C’était un démon mais il avait renié sa famille et son clan, perdu ses pouvoirs et abandonné son meilleur ami pour me sauver.

Il a dû être patient pour réussir à m’apprivoiser. J’étais devenu une bête sauvage, complètement hystérique, mordant et griffant tout ce qui passait trop près de moi. Il ne pouvait pas me ramener dans ma famille dans cet état. Personne n’aurait cru à mon histoire de démon et j’aurais été internée dans un asile psychiatrique sans aucune autre forme de procès, droguée aux médicaments et ne pouvant plus agir par moi-même. Alors il m’a gardé près de lui, il m’a protégé en m’emmenant dans son refuge, dans un petit village de montagne. Il m’a soignée malgré les nombreux coups qu’il récoltait à chaque fois, mais inlassablement il recommençait. Il n’a plus jamais fait preuve de violence envers moi et je ne l’ai plus jamais revu sous sa forme démoniaque. Peu à peu, au fil des semaines, je me suis adouci. Bien que je ne le regardais pas dans les yeux, que je ne lui répondais pas quand il me parlait de sa voix douce et que je me terrais dans un coin de la chambre dès qu’il approchait. Mais au moins, je ne le frappais plus à la moindre occasion et j’acceptais la nourriture qu’il m’offrait. Dès lors, nous avons beaucoup bougé. On ne restait jamais plus de deux semaines au même endroit. Samaël avait trahis son clan et je tremblais à l’idée de ce qu’ils nous feraient s’ils nous retrouvaient. C’était des démons après tout, qui sait ce qu’ils auraient pu inventer comme supplices pire que la mort… Chaque jour, je suffoquais à l’idée d’être découverte, je m’imaginais voir un démon dans chaque visage que je croisais, et chaque nuit, d’horribles cauchemars me tourmentaient.

Cependant, au fil des mois, voyant qu’aucun démon ne nous avait encore découvert, j’ai recommencé à espérer. La vie a repris le dessus. J’ai reparlé à Samaël, et l’ai remercié pour toute la bienveillance et l’amour dont il a fait preuve à mon égard pendant cette période douloureuse. J’ai compris et surtout, accepté les raisons de ses agissements atroces. Les cauchemars se sont espacés. Nous nous sommes installés de plus en plus longtemps au même endroit.

A présent il est là, à côté de moi, dans notre lit. Sa respiration profonde et lente m’indique qu’il dort encore. Je l’embrasse délicatement sur le front avant de me lever sur la pointe des pieds et d’enfiler ma robe de chambre. En descendant l’escalier une odeur d’œuf et de bacon en train de cuire flotta jusqu’à mes narines.

Logan… pensé-je.