Sacrifices - 8
Il se pencha vers moi pour lécher le sang qui ruisselait le long de l’entaille, puis il posa délicatement une main sur ma joue et de ses lèvres rendues vermillon, il m’embrassa sur le front.
- Adieu, mon amour… murmura-t-il à mon oreille avant de s’éloigner.
Cette ultime phrase brisa mes derniers remparts et je fus prise d’un rire hystérique qui secoua mes épaules à défaut de pouvoir s’échapper librement.
Il avait vraiment osé m’appeler « mon amour » ? Alors qu’il m’avait trahi et qu’il s’était servi de moi du début à la fin ! S’en était tellement drôle que je m’étouffais avec mon propre rire.
Marjorie et Samaël réagirent enfin alors que j’étais en train de suffoquer depuis une bonne minute au moins. Ils avaient passé tout ce temps à me regarder les yeux ronds d’incompréhension devant mon soudain accès de folie.
- Marjorie, elle s’étouffe ! Il faut lui enlever le bâillon !
- Mais…
- Donne-moi ça ! Sinon il n’y aura plus personne à offrir à ton précieux Maître, s’exclama Samaël excédé devant la lenteur de réflexion de sa comparse.
Il lui prit le couteau des mains et trancha d’un geste net et précis le bâillon. Je pu prendre une grande inspiration et me calmer légèrement.
C’est à ce moment-là que je remarquai que les habituels, et si reconnaissables, yeux bleu-gris de Samaël avaient disparu pour laisser place à une teinte cramoisie. Mais le plus étrange encore était les deux masses noires qui dépassaient de ses épaules et qui retombaient de chaque côté de son corps. La membrane noire translucide dont étaient faites ces choses semblait retenu et tendu grâce à une fine ossature mobile.
Des ailes ?! pensais-je, ahuri.
Mon rire, tout juste contenu, reprit de plus belle avec cette observation.
- V… Vous… Vous êtes vraiment des démons alors ! m’exclamais-je en pouffant.
La situation n’aurait pas dû prêter à rire en temps normal, pourtant je ne pouvais plus m’arrêter. La démence m’avait atteinte, me libérant au même instant de la peur.
- Allez-y, tuez-moi ! Qu’est-ce que vous attendez ? Qu’il neige ? Qu’il soit minuit pile, l’heure du crime ? Ah non, ça, c’est déjà passé… Alors que les planètes soient parfaitement alignées par rapport au soleil ? Ou je ne sais quelles autres conditions débiles pour votre rituel stupide !
Les mots s’écoulaient sans que j’y songe, ils se répandaient de leur propre volonté, inondant la pièce silencieuse. Tous m’observaient, interdit devant ce spectacle absurde.
- Eh, Samaël, mon amour qui m’a trahi de la pire des façons. Je n’aurais pas pu juste te retrouver un jour dans un lit en compagnie d’une greluche immonde, tiens comme cette très chère Marjorie ! Ça, j’aurais pu m’en remettre… Non, au lieu de ça tu m’as menti sur qui tu étais vraiment et tu m’as livrée à des démons pour que je leur serve de sacrifice… Quelle belle preuve d’amour que voilà en effet ! ricanais-je. Je te hais ! Je t’exècre ! Je te méprise ! Votre seigneur va être comblé. Allez Samaël, va-y, tue-moi ! Tu me dois bien ça non ? Soulève ton couteau et plonge le au plus profond de mon cœur, brise le, et dans tous les sens du terme s’il te plait ! Quelle ironie n’est-ce pas ? Tu n’en es pas capable ? Achever celle que tu as prétendu aimer c’est trop dur pour toi ? Espèce de lâche ! Tu n’es qu’un monstre abject ! Va crever en enfer !
Je hurlais à présent, à m’en casser la voix, mais qu’est-ce que ça faisait du bien de pouvoir lui cracher tout mon venin au visage. Je le vis blêmir et serrer les dents sous le coup de la honte et du tourment dans lequel mes paroles l’avaient plongé. Soudainement, une fulgurante douleur me cueillit au niveau de la joue et ma tête roula sur le côté sous l’impact. Lorsque je ramenai le visage face à Samaël, je le vis la main levée. Il avait lâché le couteau et venait de me gifler. Je souri en lui lançant un regard plein de défi.
- Une gifle, ce n’est pas tout ce que tu peux faire quand même ?
- Tais-toi ! Tu ne sais pas ce que c’est ! Devoir leur obéir alors qu’on les trouve répugnant ! Mais je n’ai pas le choix !